Construire un pont culturel entre le Québec et un peuple asiatique méconnu

Dans le cadre d’échanges culturels entre la Chine et le Québec, j’ai eu l’opportunité de mener une série d’ateliers qui explorent le patrimoine immatériel du peuple Bouyei, dont je suis originaire, notamment à travers la danse somatique et la culture du tambour de bronze. Ce projet vise à réinterpréter et à transmettre ces pratiques ancestrales dans un contexte interculturel, tout en sensibilisant un public international à leur importance.

Cet article explore la signification profonde du tambour de bronze dans le patrimoine culturel immatériel du peuple Bouyei, une minorité ethnique autochtone située dans la province du Guizhou en Chine. Le tambour de bronze, bien plus qu’un simple instrument de musique, constitue un artefact central de la cosmogonie Bouyei. Il symbolise l’interconnexion entre le ciel, la terre et les ancêtres, jouant un rôle crucial de médiateur entre le monde des vivants et celui des esprits. Le son du tambour, utilisé lors des rituels et cérémonies ancestrales, est perçu comme un vecteur spirituel qui relie la communauté aux forces invisibles guidant son existence.

Le tambour de bronze, un lien sacré

Le tambour de bronze est au cœur de la vie spirituelle et sociale des Bouyei. En tant qu’artefact rituel, il incarne l’âme collective du peuple et sert de lien avec les ancêtres, renforçant ainsi la cohésion sociale et l’identité culturelle. Ce tambour est utilisé lors de cérémonies importantes, où les Mogong, les chefs spirituels, orchestrent les rites sacrés qui garantissent l’harmonie entre la communauté et l’univers. Le tambour, avec ses rythmes distinctifs, accompagne les cycles agricoles et les festivités, marquant l’unité du peuple Bouyei avec la nature.

J’ai réalisé cette recherche-création dans le cadre de mon doctorat en art numérique, danse et patrimoine immatériel à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, au terme duquel j’ai rédigé une thèse. Il s’agit d’une approche interdisciplinaire et innovante, combinant la danse somatique avec les pratiques culturelles Bouyei pour élaborer un nouveau système chorégraphique.

La danse somatique, centrée sur la conscience corporelle et l’intégration corps-esprit, est un domaine vaste et dynamique qui offre de nombreuses possibilités d’exploration à ceux qui souhaitent approfondir leur relation au corps et au mouvement. Dans ce contexte, elle se présente comme un moyen novateur de revisiter et de réinterpréter la culture du tambour Bouyei.

Ce dernier, traditionnellement associé à des rituels et à des danses folkloriques spécifiques, est réapproprié à travers une approche somatique, permettant ainsi une transmission authentique et immersive des savoirs patrimoniaux. En intégrant la danse somatique aux pratiques traditionnelles, cette méthode facilite également un dialogue interculturel en établissant des passerelles entre les pratiques contemporaines et les traditions ancestrales.

J’ai mené une recherche ethnographique approfondie au sein des communautés Bouyei, comprenant des entretiens, des observations participantes et une documentation des pratiques liées au tambour de bronze, en mettant l’accent sur les gestes et les rythmes qui accompagnent les rituels.

L’impact de la danse somatique dans la préservation du patrimoine

L’analyse des danses traditionnelles Bouyei a permis d’identifier les motifs gestuels et rythmiques essentiels pour la création d’une chorégraphie en phase avec la culture du tambour. Cette analyse a intégré des éléments spécifiques aux danses associées aux rituels, révélant ainsi la profondeur symbolique des mouvements.

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Sur la base des données ethnographiques et de l’analyse des danses, j’ai développé un système chorégraphique qui intègre les principes de la danse somatique, permettant une résonance profonde entre les mouvements créés et la signification culturelle du tambour. Les chorégraphies visent à reproduire l’essence des pratiques Bouyei tout en facilitant l’exploration personnelle et l’ouverture interculturelle.

Ateliers entre tradition et innovation

Des ateliers immersifs et participatifs ont été organisés au Québec et en Chine. Ces ateliers ont impliqué non seulement des danseurs professionnels, mais aussi des membres des communautés Bouyei, permettant un échange culturel direct. Les participants ont été invités à co-créer et à tester les chorégraphies, offrant ainsi des retours précieux pour affiner la démarche. Les ateliers, au Musée d’art de Rouyn-Noranda et à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, ont par ailleurs sensibilisé le public québécois à la culture Bouyei et favorisé les échanges interculturels.

Les données recueillies lors des ateliers ont été analysées à l’aide de méthodes qualitatives (entretiens, observations) et quantitatives (analyses vidéo, questionnaires). Cette analyse a montré que l’approche somatique a permis de renforcer l’implication des participants dans la transmission culturelle, augmentant leur compréhension des rituels et danses Bouyei. De plus, elle a encouragé un dialogue interculturel enrichissant, stimulant la curiosité et l’ouverture à d’autres cultures.

Les chorégraphies développées ont été présentées lors de performances publiques, tant au niveau local qu’international. Ces présentations ont servi à diffuser les résultats de la recherche tout en enrichissant les apports culturels. La diffusion s’est également accompagnée de discussions et de réflexions sur l’importance de la préservation du patrimoine culturel immatériel.

Des résultats tangibles

Les résultats de cette recherche montrent que l’intégration de la danse somatique aux pratiques culturelles Bouyei constitue une méthode innovante et efficace pour la préservation et la transmission du patrimoine immatériel. Cette approche a permis de :

• Renforcer l’identité culturelle des Bouyei : En offrant un espace pour l’expression et la transmission des traditions, la danse somatique a permis de renforcer le sentiment d’appartenance au sein de la communauté.

• Favoriser le dialogue interculturel : En créant des ponts entre les cultures, cette approche a encouragé une compréhension mutuelle plus profonde et a enrichi les échanges interculturels.

• Proposer un modèle pédagogique novateur : Ce modèle, basé sur l’interaction entre tradition et innovation, est adaptable à d’autres contextes culturels et offre un cadre pour la revitalisation des pratiques traditionnelles dans le monde contemporain.

Préserver le patrimoine culturel immatériel

Cette recherche-création souligne l’importance de l’expérience corporelle et de la créativité dans la préservation du patrimoine culturel immatériel. En combinant des éléments traditionnels Bouyei avec des techniques contemporaines, elle propose un modèle de transmission culturelle qui respecte et revitalise les pratiques ancestrales tout en ouvrant des perspectives nouvelles pour la recherche en danse, ethnologie et sciences humaines.

La danse somatique se révèle être un outil puissant pour l’enquête, la création, et la transmission culturelle, jouant un rôle clé dans la sauvegarde de la culture du tambour de bronze Bouyei face aux défis de la modernité. Par ailleurs, cette démarche favorise un dialogue interculturel enrichissant, notamment dans le contexte québécois, renforçant les liens entre cultures et savoirs patrimoniaux.